Entendu sur France Culture, le 22 novembre 2017

Antonio Damasio, neuropsychologue, fait paraître « L’ordre étrange des choses » : la vie, les émotions et la fabrique de la culture (Odile Jacob, novembre 2017).

Pionnier en la matière, avec « L’Ordre étrange des choses », chez Odile Jacob, il poursuit sa quête. Et traite de la vie, de ses origines, qu’il relie à l’émergence de l’esprit et à la fabrique de la culture. En faisant appel à un concept biologique, l’homéostasie, qu’il traduit en processus vital, et applique à la culture :

« Les humains voulaient trouver le remède aux tourments de leur cœur ; réconcilier les contradictions générées par la souffrance, la peur, la colère et la poursuite du bien-être. Ils se sont donc mis en quête de source d’émerveillement et de sensations fortes. Ils ont découvert la musique, la danse, la peinture et la littérature. Ils ont poursuivi leurs efforts en élaborant les tumultueuses épopées que sont les croyances religieuses, les questionnements philosophiques, la gouvernance politique – et bien d’autres inventions encore. C’est ainsi que notre esprit créateur de culture s’est perpétuellement adapté à la dramaturgie humaine, de la naissance jusqu’à la mort. » « L’Ordre étrange des choses » Antonio Damasio – Éditions Odile Jacob

Sources bibliographiques :

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Extrait interview Science & Avenir du 24-11-2017

— Et selon vous les sentiments sont l’expression mentale de notre « homéostasie » ?

Dans le livre, j’explique en effet que le vivant nourrit un désir non réfléchi et involontaire : celui de persister et d’avancer vers l’avenir, contre vents et marées.  L’homéostasie c’est «l’ensemble des processus coordonnés nécessaires à la réalisation de ce désir». Cela renvoie à ce que le philosophe Baruch Spinoza appelait le conatus : « Une inlassable volonté d’autopréservation de chaque être ». L’homéostasie est donc l’impératif puissant, non réfléchi et silencieux, qui assure le conatus, la persistance de la vie. Les sentiments, qui ont toujours une valence, agréable ou désagréable, sont l’expression mentale de notre homéostasie. Ils nous informent de notre état intérieur, ce qui va provoquer une réaction de préservation, qui peut générer des productions culturelles.

— Selon votre théorie, les prémisses de ces cultures sont à chercher dans des biologies non humaines, jusqu’aux… bactéries ?

Les bactéries, apparues il y a près de 4 milliards d’années, sont de petites cellules sans noyau, sans système nerveux, sans esprit, les plus nombreuses et les plus variées des entités vivantes terrestres. Elles sont très intelligentes – même si leur intelligence n’est pas guidée par un esprit doué de sentiments, d’intentions et de conscience. Elles peuvent percevoir leurs conditions environnementales et réagir de manière à préserver leur homéostasie. Pour cela, elles sont capables de communiquer (chimiquement) entre elles, font preuve de mémoire et de gouvernance sociale, de stratégies de compétition ou de coopération, de conflits pour défendre leur territoire ou d’éviction des « traitres » qui ressemblent aux nôtres. Est-ce que ces stratégies d’organismes unicellulaires les plus anciens ne préfigurent pas nos stratégies culturelles complexes humaines? Je pense que oui.

Sources bibliographiques :